[RP] « Le feu le plus couvert est le plus ardent. »

« Le feu le plus couvert est le plus ardent. »

Ovide

Inspiration.

Expiration.

Sifflement.

Ce sont là les seuls sons produits par le corps allongé.

Qui le veille ? Il ne le sais pas. Il n'a conscience de rien.
De rien sauf de cette douleur. Brûlante. Hurlante.

Mais même hurler, il ne peut pas.

Le feu a brûlé sa bouche. Le coin gauche de sa bouche. Sa joue, sa joue calcinée, et son œil... Disparu.

Il ne le sait pas encore.
Pas vraiment.

Tout son corps souffre. D'autres éclats de bois ont consumé sa chair, par endroits.

Mais rien d'aussi terrible et irréversible que sa bouche, sa joue, et son œil.

Inspiration...

Expiration...

Et si ça s'arrêtait là ?

La souffrance. La brûlure. La consumation du corps. La lave lascive qui irise sa joue ?

Et si on arrêtait ?

…

Inspiration...

Hélas... Le corps est le plus imprévisible des objets. On lui réclame l'abandon, la brisure finale... Et rien. Le bougre trahit et s'accroche.

Expiration....

Même la conscience revient petit à petit. Jour après jour. Lentement.

Et soudain, un œil s'ouvre.

Invité

Le milanais regardait la silhouette de son Maître allongée.
Non il n'avait pas veillé jour et nuit.
Il n'était pas resté inexorablement enchainé au chevet du Sévère.

Il était passé par plusieurs stades.

D'abord, le réveil. Quand apres l'incendie il s'était éveillé dans cette auberge, soigné, sa plaie lancinante soignée. La peur qui avait glacé son coeur, l'agitation qui avait été la sienne alors qu'il hurlait le nom de son Maître. Il savait... Il savait qu'il avait été sauvé. Il ignorait encore à quel prix.

Les larmes. Celles de la douleur la nuit, cette peau qui brule continuellement par en dessous, fourmille, se calme puis recommence. Les larmes face au visage ravagé de son Maitre, toujours endormi sans être mort. Les larmes quand il s'était décidé à sortir, observer les décombres fumantes. Les larmes quand Tom avait été retrouvé.
Trop de tragédie en trop de peu de temps. La le milanais était resté des jours durant. Il n'avait pas mangé ou alors tres peu. Il était resté prostré. Il n'avait pas aidé au déménagement, trop choqué, trop ébranlé, mais il avait aidé au transport de son maître, à l'installation dans une chambrine du chateau. La encore il avait veillé.

Puis il y avait eu la colère. Celle des monologues vains et creux face au corps sans mouvement, la laideur exacerbée des chairs qui s'étaient rétractées, des cheveux qui avaient brulé. IL y avait apposé un linge , des onguents, il le masquait, le dévouvrait, hurlait, pleurait, puis las s'en allait, fuyait cette désolation,tuait l'ennui dans les nouveaux couloirs, s'imprégnant des nouvelles odeurs, saluant les nouvelles têtes, les moins nouvelles.

La lassitude venait achever le tout. Quand l'espoir était incertain. Etait ce celui de voir le maître se réveiller ou celui enfin que ses souffrances soient abrégées. Il y avait cet oreiller qui étouffait les cris de desespoir de Gigi lorsqu'il songeait à endosser les ailes de la mort, quand il songeait à ses égarements avec le maître, son amour, sa fascination, son adoration, puis l'éloignement, ses fantasmes, ses espoirs brisés et la solitude qui revenait le ronger...

Soupirs.
Resignation.
Abandon.

Il n'a pas vu l'oeil s'ouvrir, il s'était levé a cet instant pour faire pénétrer un mince rayon de soleil printanier dans la chambrine. Austère et froide.
Le chateau était mal chauffé, il lui faudrait en parler à la des Juli.

Saisissant une couverture de plus, il la glissa sur le corps du Maître. Ce n'est que la qu'il le vit.
Il en eut un sursaut de recul, tremblant, il n'osait regarder la vie reprendre ses droits.

Gigi...

Il ne bouge pas. Ne remue pas un muscle.
Il a été long, le réveil. Il a fallu que l'inconscient, d'abord, admette l'inadmissible.
Cette douleur, ce n'était pas la mort. Mais la vie, qui s'acharnait.
Cette agitation, autour, ce n'était pas la mort de l'atelier.
Mais la vie qui se réinstallait ailleurs.

Il était heureux que ce fut Gigi qui soit là à son réveil. Si cela n'avait pas été lui, Sévère se serait rendormi, peut être pour toujours.

Il ne pouvait pas admettre de vivre si l'unique raison qui l'y poussait n'était plus.

Il ne pouvait pas non plus accepter le dégout qu'il pourrait à présent inspirer à l'italien.

Alors que l'unique oeil valide s'ouvre enfin, grand, le borgne réalise qu'il l'est pour de bon. Borgne.

Gigi...

Ne me refuse pas, ne me repousse pas, ne te détourne pas, ne me hais pas... Je n'ai que toi...

Invité

Gigi était est figé quelques minutes.
Son nom prononcé par le maître faisait écho en son être.
Il ne savait quelle conduite adopter. Il savait le maître fier. Il voyait le maître affaibli, amoindri, enlaidi...

Un flot d'émotions le traversait, lui le sentimental milanais, blessé dans sa chair, blessé dans son coeur, son âme.

Et les minutes de son hésitation semblaient une éternité face à ce qui était un appel au secours.
Tremblant le milanais avait serré les poings, puis un sanglot était venu briser la carapace de ce grand enfant.
Dans un élan il s'était rapproché, penché au dessus de son maître pour faire voir à l'unique oeil rescapé son visage ruisselant de larmes.

Ses mains avaient saisi celle du maître, serrant doucement pour lui montrer qu'il était là et qu'il ne s'en irait pas. Après tout ne devait il pas tout au maître ? Sa position aux Doigts d'Or, sa vie ?
Etait ce cela qu'il leur restait ? Lui lié au maître par cette dette ? Il ne voulait le croire, car même s'il s'était détourné pour courir d'autres amours, il n'avait jamais cessé d'adorer l'homme qui l'avait marqué de toutes les manières possibles.

- Maître... Maitre je suis là...

Il attrapa une serviette humide qu'il lui posa sur le front.

- Gigi si occuperà di voi ... Je ne vous quitte pas...

De la manche il essuya les larmes qui lui brouillaient la vue et tenta un sourire rassurant.

Houuuuuuuuuuuu houuuuuuuuuhouuuuuuuuuuuu !

Sévère est pas mort ! Et on sait pas encore si ça sera une bonne ou une mauvaise nouvelle !

Houuuuuuuuuhouuuuuuuuuuu houuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu !

Le fanTom se charge de répandre la rumeur dans tout l'atelier.

Comme personne (ou presque) ne peut l'entendre, c'est aussi bien, de toutes façons. Ca l'occupe, ça lui fait passer le temps, et ça dérange personne (ou presque, donc).

Houuuuuuuuuuhouuuuuuuuuhouuuuuuuuuu !!

Commencez à pétocher les gens !

Severus nonRigolus est reviendus à la vitus, et il est pas beau à voir ! Il est plus mochitus que Severus maintenant !

Houuuuuuuuuuu houuuuuuuuuuuuuuuu houhouhouuuuuuuuuuuu !

Le visage ravagé le bouleverse. C'en est trop pour le vieux grincheux, bien trop.
L'agonie sur son visage, et maintenant celle de son unique amour, là, pour lui. Trop. Bien trop.

Je vais mourir, Gigi. Aide moi. Ainsi je ne serais pas un poids pour toi.

Pas question de voir ce regard qui souffre. Pas question de voir les larmes dès que les yeux italiens se posent sur lui. Non.

Éteindre la douleur une bonne fois, et tant pis si le corps, lui, était sur la voie de la guérison.

Je ne veux pas... pas...

Mais il fatigue, déjà. Le corps réclame du repos. Du sommeil réparateur.
Et puisque Gigi veille...

Gigi je...

Allez, lutte, Severus ! Dis le avant de sombrer.

Mon Gigi je...

T'ai toujours aimé ? L'adrénaline rend niais, on dirait, même un type comme Sévère.

Ne me quitte pas...

Oui, ça aussi c'est assez niais, mais c'est le maximum pour Sévère.
Engourdi de douleur, il formule encore son désir et son amour comme des ordres.
Ordres qui sonnent comme une supplique dans sa bouche tordue par le feu.

Pauvre Gigi...

Invité

Pauvre Gigi oui.
Déchiré, écartelé, martyrisé.
Son àme pleure quand ses yeux n'ont plus d'eau pour lui mouiller le visage.
Les mots du maître sont comme une petite mort, pas LA petite mort, mais la vraie mort.
Une partie de lui s'éteint. Un peu de son innocence et de sa jeunesse s'envole.
Le maître implore et Gigi voudrait ne pas entendre.

Pire, il entend. Les mots raisonnent en son être. Ce serait tellement plus facile... Oui tellement plus facile...
Le milanais se figure, le coussin de duvet entre les mains, tremblant mais déterminé... le visage du Maître... Les lambeaux de chair... Masqués, cachés... et la vie doucement de s'en aller, dans un ultime combat, les soubresauts du corps mu par l'instinct de préservation, la douleur qui s'envole autant que la vie qui part et le calme... Le calme, la paix...

Le Milanais fait un pas de recul, ferme les yeux et secoue la tête.
Non... Non il n'est pas un assassin... Non le maître mérite mieux que cela... mieux qu'une main qui achève... une main qui soulage... Une vie de dévotion, une vie en paiement à son sauvetage... Une vie pour le maître.

- Non non... Maestro... non morirai... Gigi est là...

La main est a nouveau saisie , serrée alors que le Sévère sombre à nouveau.
Tremblante l'autre main a envie de toucher, la joue, celle encore intacte, resistant au spectacle affligeant d'une moitié réduite à l'infâme.

C'est un baiser que Gigi pose sur le front de son maître. Au delà du corps c'est son âme au Sévère qui est liée.
Il sait Gigi que malgré sa fuite, malgré l'indifférence, malgré ses rêves et ses espoirs, le Sévère jamais n'avait quitté les profondeurs de son être.

Comme le chien au pied de la couche du Maître, Gigi se laisse glisser.
Enfant terrorisé il s'accroche à ce qu'il reste de l'autorité à laquelle il aime à se soumettre.

Plus tard, il irait les chercher les onguents, les pommades prescrites.
Il laissera même ses pas le porter chez l'apothicaire d'ou il reviendra avec du pavot qu'il fera bouillir dans du lait.

Il est le seul à s'occuper du maître. C'est son devoir, c'est sa vocation.

Les manches sont retroussées. et du bout des doigts l'onguent gras est appliqué sur les chairs brûlées.
Le milanais chantonne tantôt et tantôt parle à son maître. Il parle de sa langue chantante, celle qui le rassure et calme ses angoisses.
Le maître comprend, il le sait.

Des bandes de lin sont doucement enroulées autour de la tête, masquant l'oeil à présent mort.
Le milanais sourit, sa peine est refoulée, il veut que le son maître ouvre les yeux sur un sourire.
Il se mord la lèvre, elle est ainsi plus rose et belle, il se frotte les joues, elles sont ainsi moins pâles.
Ses cheveux d'un blond doré reposent sur ses épaules et ses yeux d'un vert profond brillent des larmes qu'ils retiennent.

Sur la table de chevet, le lait fumant. Celui qui enlève la peine et apporte le réconfort. Doucement, le milanais presse les mains du Maître entre ses mains.

- Maestro... Mio maestro...

Doucement il appelle.
La vie maître. Il faut choisir la vie...

Gigi !

Le nom est presque crié, comme on prend une inspiration brusque. Comme on sort enfin la tête de l'eau.
Sont-ce des jours, des semaines ? Des mois ?

Il ne le sait pas.
Combien de fois a-t-il bu les potions, subi les onguents ?
Il ne le sait pas.

Mais il sait que Gigi ne l'a pas quitté.
Qu'il a veillé sur son sommeil, sur la souffrance, sur ses silences.

Le pavot en embrouillé ses sens, pesé sur ses pensées, alourdi son sommeil.

Mais il émerge. Il émerge enfin.

Le voilà, le Sévère. Le voilà de nouveau.
Et la rage d'une nouvelle vie l'habite.
Son corps brûle d'un feu nouveau, d'un feu différent. D'un feu symbolique, qui le rend vivant.

Gigi...

Un seul œil s'ouvre.
La réalité frappe de plein fouet.
Il est diminué.

Un seul œil. Une moitié de la réalité effacée. La vie en 2D.

Mais Gigi est là. Gigi a veillé. GIgi ne l'a pas quitté.
Les murmures en italien ont bercé sa convalescence. Il le sait. Au fond de lui, il le sait.

Qu'importe la cécité d'un œil.

Basta !

Gigi... Tu es là...